lundi 28 décembre 2009

une course-pousuite

L'exercice: "Vous illustrerez le texte suivant par les moyens de votre choix".

Nuit noir. Deux gendarmes en uniforme et armés. Deux hommes en imperméable, chapeau à bord étroit sur la tête. Ces deux-là murmurent entre eux et fument en tenant la cigarette à l'envers, le bout incandescent caché au creux de la main, ne veulent pas que le point rouge se voie. Les gendarmes, eux, se taisent, le plus grand tient une lampe torche dans la main gauche.
Ils attendent. Sur un gendarme examiné de près, grâce à l'ombre, un pistolet dont le métal luit un peu, puis le visage d'un contrôleur des Indirectes et après celui de son collègue, quand l'un ou l'autre tire une bouffée sa face est une seconde éclairée par le petit feu dans le creux de la main. Le gendarme qui n'a pas la lampe entend un signal discret dans la voiture garée tout près (bleu marine, pas de lanternes, invisible à l'entrée d'un près). Il fait quatre pas vers les autres: "I'monte!". Les voilà prévenus par un autre gendarme posté, donc, à quelque distance.
Arrivent déjà les phares d'une voiture au pied de la côte. Pas trop tôt pas trop tard le gendarme allume sa torche, s'avance un peu sur le goudron de la route et avec le faisceau lumineux fait signe au conducteur de se garer sur le côté, la voiture, "onze légère" noire, ralentit en effet puis à la dernière minute, faisant une embardée pour ne pas faucher le gendarme, le conducteur accélère et disparaît. "Le salaud!" Quelques dizaines de mètres plus loin une autre voiture allume des phares, démarre et fonde derrière la "traction". Bien sûr Léandre doit porter un regard toutes les minutes vers le rétroviseur. Il a vu qu'une voiture s'élançait et constate qu'elle ne le lâche plus, les gendarmes ont parfois un moteur gonflé eux aussi. Alors Léandre commence à tourner, vers la droite, vers la gauche, des petites routes - sans crainte d'aucune charrette à cette heure - mais toujours les deux yeux lumineux derrière lui s'accrochent sans se tromper. Ils attendent quoi? Que je tombe en panne d'essence? Vague pensée tandis que les sourcils broussailleux se lèvent en face du petit miroir. Puisqu'il fait nuit rien n'est visible dans la voiture de Léandre mais il est facile d'imaginer d'abord le ronflement du moteur, solide et bien mené, sans forcer, ensuite la route, les routes sous les phares, pauvrement goudronnées, qui avec cet éclairage bas lui deviennent presque étrangères. Son visage calme reçoit un peu de la lueur renvoyée par le paysage immédiat, mais derrière ses épaules tout est noir, sauf les petits yeux. Alors d'un coup de volant Léandre quitte la route vicinale et se jette dans un chemin où il accélère malgré le sol inégal.

Extrait de "Sanzaki", livre de Jean-Loup Trassard publié aux éditions Le temps qu'il fait en 2008.

lundi 14 décembre 2009